Type d'action | doc. de planif. |
Durée | 2010 - 2019 |
Nom du site | Île de Bagaud, archipel de Port-Cros (Hyères, Var) |
Structure pilote | Parc national de Port-Cros |
Référent | COTTAZ Cyril |
Financeur(s) | Bureau d'études Naturalia-Environnement / Conseil régional Provence-Alpes-Côte d'Azur / Fondation Total / Parc national de Port-Cros / Union Européenne |
Partenaire(s) | Conservatoire botanique national méditerranéen de Porquerolles / Conservatoire du littoral / Institut Méditerranéen de Biodiversité et d'Ecologie marine et continentale / LPO Provence-Alpes-Côte d'Azur / Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement / Association Initiative PIM / Association Dream / Association Reptil'Var / Domaine du Rayol - Le Jardin des Méditerranées / Association Naturoscope |
L’île de Bagaud est un site littoral soustrait à l’impact de l’Homme grâce à son statut particulier de réserve intégrale de parc national. Dans le cadre d’un programme décennal (2010-2019) alliant restauration écologique à grande échelle et suivis globaux de la biodiversité (végétation, arthropodes, reptiles et oiseaux nicheurs), des opérations d’éradication d’espèces exotiques envahissantes préjudiciables pour les espèces patrimoniales identifiées sur site ont été mises en place. Ces actions d’éradication visent deux espèces : les « griffes de sorcière » (Carpobrotus spp.) et le rat noir (Rattus rattus). Ce dernier, introduit dans le bassin méditerranéen il y a près de 2000 ans, mais d’introduction plus récente sur l’archipel des îles d’Hyères, participerait entre autres au déclin des populations méditerranéennes déjà menacées du puffin yelkouan (Puffinus yelkouan), un oiseau marin patrimonial nicheur sur l’île. Les griffes de sorcière sont des espèces végétales originaires d’Afrique méridionale qui, depuis leur introduction sur l’île, ont une dynamique de prolifération très importante, participant à une uniformisation des milieux et pouvant se révéler problématiques pour la survie de populations d’espèces végétales patrimoniales (comme la romulée de Florent Romulea florentii par exemple).
Un projet de restauration écologique a donc été mis en place à la demande du Conseil scientifique du Parc national de Port-Cros en 2008. Début 2010, celui-ci a donc initié, sous la responsabilité scientifique de l’Institut méditerranéen de biodiversité et d'écologie marine et continentale (IMBE), un programme décennal novateur consistant à éliminer les espèces exotiques envahissantes, à préserver les espèces patrimoniales menacées par celles-ci (dont Fumaria bicolor, Orobanche sanguinea, Urticicola suberinus, Cis quadridentulus, Armadillidium quinquepustulatum) et à suivre l’évolution de certains groupes taxonomiques cibles sur une longue période (10 ans) afin de mieux comprendre les processus complexes liés à l’écologie de la restauration post-éradication de taxons exotiques envahissants.
En premier lieu, les deux espèces exotiques envahissantes ont fait l’objet d’une éradication initiale. La méthode choisie pour Carpobrotus a été l’arrachage manuel. La biomasse extraite (40 tonnes) a été compostée sur place, en raison de son volume important, de la difficulté d’accès du site et pour éviter un piétinement trop important et la dissémination involontaire de graines ou de parties de plantes qui peuvent se bouturer. Cette opération a été réalisée en automne-hiver, en dehors de la période d’activité biologique des espèces indigènes, sur deux années consécutives. L’éradication du rat noir s’est faite par l’emploi successif de deux techniques de gestion : un piégeage mécanique (au moyen de ratières) suivie d’une lutte chimique. La lutte mécanique s’effectue à l’aide de la pose d’un maillage de 886 ratières appâtées, non létales et à visée spécifique. La lutte chimique succède à la lutte mécanique lorsque le nombre de captures de rats commence à diminuer. Les appâts toxiques ont été fixés à l'intérieur de tubes en PVC afin de les protéger des agents de dégradation (UV, précipitations), de la diffusion dans le milieu naturel et d’en limiter l’accès aux taxons non cibles.
À la suite de cette éradication initiale, un biocontrôle a été mis en place afin de s’assurer que les résultats de l’éradication perduraient dans le temps. En effet, la banque de graines de griffes de sorcière persistant au moins pendant 7 ans dans le sol, un arrachage exhaustif des germinations et individus adultes sur des stations de suivi a dû être réalisé jusqu’à épuisement de la banque de graines, avec un passage annualisé à l’automne. Pour le rat noir, le dispositif de biocontrôle mis en place nécessitait un suivi régulier d’une sélection de postes d’appâtage chimique stratégiquement situées, afin de confirmer « l’absence » de rats de l’île par la vérification de potentielles traces d’incisives laissées sur les pavés d’appâts toxiques.
Enfin, un suivi des groupes taxonomiques cibles avant, pendant et après les opérations d’éradication a été mis en place. L’IMBE et le Conservatoire botanique national méditerranéen de Porquerolles (CBNMed) ont ainsi réalisé les inventaires et suivis de la flore, l’interprétation de la dynamique et la cartographie de la végétation. L’IMBE a également réalisé le suivi des arthropodes. Enfin, l’association Reptil’Var a réalisé le suivi des reptiles, tandis que les oiseaux terrestres et marins nicheurs de l’île ont été étudiés par l’association Dream, puis par la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) PACA. Pour chacun de ces groupes, des méthodes spécifiques de suivi ont été mises en place.
Ce programme de restauration écologique a débuté en 2010 et s’est poursuivi pendant 9 années pour un coût total estimé à 630 260 € hors temps agents (1 585 000 € avec temps agents de coordination, de missions et d’administratif). Près de 355 personnes se sont mobilisées sur 10 ans pour réaliser les missions de terrain, impliquant plus de 25 structures différentes. Ceci a permis de mener à terme l’éradication des griffes de sorcière sur les zones envahies de l’île, suite aux expérimentations menées par l’IMBE qui ont identifié la meilleure technique de gestion applicable sur site (arrachage manuel puis retrait de la litière). L’éradication du rat noir (par piégeage mécanique et chimique) a nécessité de nombreux biocontrôles destinés à faire drastiquement baisser les populations insulaires jusqu’en 2014 avant l’apparition de nouvelles traces en 2015. Depuis, l’objectif d’une éradication complète s’est révélé difficilement atteignable étant donné la proximité de l’île de Port-Cros et la forte densité de bateaux de plaisance dans l’archipel.
Les suivis des groupes taxonomiques post-éradication ont mis en évidence une régénération de la végétation indigène de l’île à partir de la banque de graines du sol présente sur place, un nombre de couples nicheurs de puffin yelkouan sensiblement en hausse depuis le début du programme, une situation plutôt favorable pour certains passereaux nicheurs (martinet pâle, tadorne de Belon, etc.) ainsi qu’une augmentation du nombre observé de juvéniles de phyllodactyle d’Europe (Euleptes europaea), un gecko patrimonial. Les résultats sur les arthropodes sont variables suivant le site et le groupe étudié. Les assemblages d’araignées et de coléoptères sont plus diversifiés et changent en termes de composition suite à l’éradication des griffes de sorcière à l’intérieur de l’île. Solide de plus de 9 années de données et de retours d’expériences, ce programme de restauration écologique a fait l’objet de deux séminaires de restitution (Aix-en-Provence, 2014 et Hyères, 2019), de plusieurs présentations publiques et a permis de réaliser plus de 70 études et articles scientifiques.
- Cottaz C., Aboucaya A., Krebs E., Passetti A. & Buisson E. (2020). Programme de restauration écologique de la réserve intégrale de l’île de Bagaud, Parc national de Port-Cros. Synthèse des activités et résultats du programme décennal - Phase 2010-2019. Version synthétique. Rapport du Parc national de Port-Cros et du Conservatoire botanique national méditerranéen de Porquerolles, 139 p + annexes.