Photo Acacia karoo (c) Petit Y. (CBNC)

[PACA] Éradication des griffes de sorcière de l'île de Bagaud (Parc national de Port-Cros, Var)

Actions dans le cadre du programme décennal de restauration écologique de l'île de Bagaud (réserve intégrale de parc national)

Contexte :

Les invasions biologiques sont une menace pour la biodiversité en général et en particulier pour les espèces indigènes insulaires. Le contrôle ou l’éradication des espèces exotiques envahissantes est une solution pour limiter les impacts sur la biodiversité indigène. Cependant, les études menées sur différents compartiments biologiques et sur le moyen et le long terme sont peu nombreuses dans le bassin méditerranéen ce qui limite les transferts de connaissances et de pratiques entre scientifiques et gestionnaires d’espaces naturels.

Un programme décennal (2010-2019) d’écologie de la restauration, alliant restauration écologique à grande échelle et suivis globaux de la biodiversité (végétation, arthropodes, vertébrés) a été mis en place pour l’île de Bagaud (réserve intégrale du Parc national de Port-Cros).

De manière plus précise, ce programme comporte trois étapes :

  • L’état-zéro ou état initial et les expérimentations de restauration (2010-2011).
  • Les opérations d’éradication (2010 à 2012).
  • Le suivi scientifique des espèces indigènes et la biosécurité post-éradication (2012-2019).

Historique :

L’île de Bagaud est la propriété du Conservatoire du littoral. De par sa localisation en cœur du Parc national de Port-Cros, des réglementations encadrent les activités humaines. En effet, la partie émergée de l'île a été classée « réserve intégrale » depuis 2007 ce qui permet de limiter la fréquentation humaine : seules les études scientifiques et les opérations de gestion peuvent justifier un accès à l’île.

Ces différentes mesures peuvent s’expliquer par des forts enjeux de biodiversité. La flore vasculaire terrestre de l’île en témoigne, avec une vingtaine de taxons patrimoniaux dans ses rangs. On y retrouve par exemple la romulée de Florent (Romulea florentii), espèce vulnérable sur les listes rouges PACA et métropolitaine, et endémique des îles d’Hyères et du littoral varois. Il y a aussi la fumeterre bicolore (Fumaria bicolor), le genêt à feuille de lin (Genista linifolia), le gaillet nain (Galium minutulum), le lotier faux cytise (Lotus cytisoides), le statice nain (Limonium pseudominutum) ou encore le lis maritime (Pancratium maritimum).

L’île de Bagaud est aussi assujettie à deux autres menaces d’origine anthropique : l’invasion biologique par les griffes de sorcière et par le rat noir. Dans un but de conservation et d’expérimentation scientifique, le Parc national de Port-Cros (PNPC) et l’Institut méditerranéen de biodiversité et d'écologie marine et continentale (IMBE) ont initié en 2010 le programme décennal de restauration écologique de l’île de Bagaud. Celui-ci prévoit l’éradication de ces espèces exotiques envahissantes, en se basant sur des méthodologies précises mises au point par des études de faisabilité, des expérimentations préalables de restauration in situ et des conseils d’experts.

Actions réalisées :

Résultats :

Il a été démontré que le contrôle du rat noir s’est révélé efficient même si son éradication complète est compliquée par la proximité de l’île de Port Cros et la forte densité de bateaux de plaisance dans l'archipel, facteurs potentiels de réintroductions accidentelles du rat noir. Le contrôle de cette espèce a permis d’observer une augmentation d’observation de juvéniles du phyllodactyle d’Europe, Euleptes europaea (Krebs et al. 2015a). Dans la zone où la densité de rats était la plus forte avant le contrôle, la pré-analyse d’une partie des données montre que les assemblages de coléoptères sont relativement stables pré- et post-contrôle et que les assemblages d’araignées fluctuent sans que les effets puissent être directement liés au contrôle du rat. L’analyse de l’ensemble des données de ce site grâce à une thèse (Julie Braschi, 2020) apporte quelques compléments de réponse.

Avant d’entamer le contrôle de griffes de sorcière sur l’ensemble des zones envahies de l’île, la banque de graines de la litière et du sol sous les tapis de griffes de sorcière a été étudiée afin de déterminer le potentiel de régénération de la végétation indigène à partir de graines déjà présentes sur place (Chenot et al. 2014). Plusieurs modalités de retrait de griffes de sorcière ont ensuite été testées (arrachage seul, arrachage + retrait de la litière) sur le rétablissement des plantes indigènes, sur la germination des graines de l'espèce contenues dans la litière et dans le sol et sur l’érosion des sols (Chenot et al. 2018). Il a été conclu que les griffes de sorcière devaient être arrachées et leur litière retirée pour minimiser les germinations de cette plante exotique envahissante après son contrôle et pour maximiser le rétablissement de la végétation indigène.

L’arrachage à grande échelle a ensuite eu lieu en 2011. Il a été montré que la végétation méditerranéenne se rétablit sans semis, particulièrement dans le cas où les pentes sont relativement douces (Krebs et al. 2015b ; Buisson et al. 2018 ; Buisson et al. 2020). Les assemblages de coléoptères et d’araignées se diversifient progressivement après l’arrachage (Braschi et al. 2015 ; Braschi et al. 2020a,b). Il a été également montré qu’un biocontrôle est nécessaire sur une période d’une dizaine d’années pour épuiser la banque de graines de griffes de sorcière. Ce biocontrôle représente une part significative du budget (70% ; 91 000 euros / ha) qu’il convient de ne pas négliger pour éviter la recolonisation de griffes de sorcière et assurer le succès de l’opération de gestion (Buisson et al., 2020).

La conclusion de cette étude sur 10 ans est la plus longue étude réalisée au monde suite au contrôle de la griffe de sorcière. Elle est également particulièrement complète du point de vue des suivis de biodiversité (végétation, arthropodes, vertébrés). Les résultats sont d’ores et déjà transposables à d’autres îles de Méditerranée. Les résultats ont été validés par la publication de 7 articles dans des revues scientifiques à impact international, des communications scientifiques au niveau international et national ainsi que par l’organisation de deux ateliers d’opérationnalisation à destination des gestionnaires d’espaces naturels de la région Sud.

Références bibliographiques :

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Référence iconographique : Cyril Cottaz
Rédaction : Théo Alabert, Élise Buisson

DURÉE
(2006) 2010-2019


MONTANT
1 585 000 € (sur 10 ans)


SITE WEB DU PROJET
http://www.portcros-parcnational.fr/fr/des-connaissances/patrimoine-naturel/la-reserve-integrale-des-ilots-de-port-cros/lile-de-bagaud-0


OBJECTIFS


Les objectifs de ce projet visent à la fois (1) l’éradication sur l'île de deux espèces exotiques envahissantes (le rat noir et les "griffes de sorcière"), (2) le suivi des impacts de cette double opération sur la biodiversité, et (3) le transfert des méthodes et résultats vers d’autres gestionnaires ayant des problématiques d’invasions similaires dans leurs espaces naturels (par ex. les îles du Parc national des Calanques, réseau des gestionnaires des Petites Îles de Méditerranée, etc.).
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